Dave Gibbons

Livre dont la vocation didactique est partiellement masquée par la traduction française du titre, qui insiste sur le nom du créateur (Dave Gibbons), là où l'original indique plutôt ce qui est en jeu (How Comics Work), à savoir l'élaboration d'une BD. L'ouvrage, dont l'intérêt est indéniable, se remarque d'abord par sa largeur de spectre : Gibbons et Pilcher abordent tout aussi bien le script et le scénario que les dialogues, le dessin, la construction de l'image, l'organisation de la page, la couleur, le lettrage et même le travail péri-textuel autrement dit la maquette du livre. Non seulement les deux auteurs traitent de nombreux aspects de la création d'une bande dessinée, mais l'approche est intelligente et précise, sans être jamais fastidieuse. La partie concernant le lettrage est lumineuse. Le chapitre consacré à la composition de la page (page design) est remarquable tant il est peu fréquent que les artistes prennent le temps de l'évoquer, en tout cas dans la littérature francophone. Le rapport entre des constructions soutenues par une grille sous-jacente (grid structure, traduit le plus souvent par Jean-Marc Lainé en « gauffrier », et quelques fois par « structure en grille ») et d'autres qui ne le sont pas (free-form layouts, traduit en « composion libre ») évoque immanquablement les compositions rhétoriques et régulières (Peeters, Groensteen, Chavanne), les deux anglo-saxons identifiant parfaitement les variations envisageables à partir d'une structure en grille sans les nommer spécifiquement (compositions semi-régulières chez Chavanne). Gibbons et Pilcher mettent très judicieusement en perspective la construction de la page et celle de la case (panel design).

On notera, peut-être avec étonnement, que Gibbons organise les premières étapes de son travail sous forme de texte. Certes schématisé, par exemple sous forme d'arbre, mais bien de texte. Autrement dit, l'image n'est pas première, ce qui ne va pas de soi. On signalera encore que Gibbons conçoit d'abord ses bandes dessinées en termes temporels, ou pour le moins de consécution : il s'agit de déterminer un début, un milieu, une fin, mais aussi de « contrôler le temps et le rythme », d' « accélérer » et de « ralentir ». L'ouvrage n'ayant pas d'ambition théorique, mais bien pratique, les deux notions de temporalité narrative et lecturale sont toutefois traitées simultanément, au risque d'une certaine confusion. On soulignera aussi les propos de Gibbons concernant le story-board, tant la méthode qu'il décrit est spécifique à la bande dessinée et reconnue comme telle, s'éloignant du story-board cinématographique. En effet, le dessinateur britannique procède en accumulant des petits dessins schématiques pour chaque planches, multipliant la représentation de nombreuses planches sur une seule feuille de papier.

Enfin, au-delà d'un travail pédagogique d'excellente tenue, on dira le plaisir pris par l'observation des très nombreux exemples tirés de l'œuvre de Gibbons, tant dessins achevés que croquis, esquisses, pages encrées ou non, mises en couleur de manière traditionnelle ou sur ordinateur. Ce livre est aussi un bel art-book. Votre libraire le recommande.