Super-War

Avec ce travail, l'Américain Reed Tucker entend raconter « l'histoire d'une guerre entre deux maisons d'édition qui dure maintenant depuis plus de cinquante ans ». L'écriture est journalistique, efficace et d'une lecture agréable. D'autant que la tonalité rigolote, multipliant les formules percutantes et bien tournées, abusant de la métaphore inattendue, branchée donc pour tout dire, s'estompe passées les premières pages un peu agaçantes. C'est donc un demi siècle de comic book qui est traité dans ce livre (des années quarante aux débuts des années deux mille dix), et plus précisément son versant mainstream. En la matière, le livre de Tucker est appréciable. Il offre un point de vue général sur cette littérature, exposant, au travers de la rivalité entre Marvel et DC Comics, les pratiques, les tendances, les artistes et les grands courant d'une discipline qui a déteint sur la bande dessinée mondiale. La lecture met en évidence les tensions entre l'activité créatrice et les pratiques commerciales. Le positionnement des deux entreprises concurrentes est bien exposé, ainsi que les moyens mis en œuvre pour conserver ou ravir la place de leader (débauchage, initiatives éditoriales, etc.). Reed Tucker apporte ainsi un éclairage très limpide sur la question dite de la « continuité », à savoir de la mise en cohérence d'univers et de personnages pensés initialement comme indépendants puis mis en relation progressivement (crossover) en raison de demandes du public entraînant des succès commerciaux. Autre intérêt de Super-War : l'exposition des questions qui traversent le fandom, la communauté des fans, ou du moins certaines d'entre elles, engageant des discussions qu'on imagine interminables entre les amateurs (Hulk est-il plus fort que Superman ?). Des conversations dont l'objet n'est pas passionnant, mais qui éclairent sur les préoccupations des afficionados. Si Tucker donne largement la parole aux artistes (la plupart des propos cités sont sourcés, et quand ils ne le sont pas, on suppose qu'ils ont été recueillis par l'auteur), on voit qu'il ne néglige nullement l'environnement professionnel et le milieu des affaires. On suivra de la sorte le développement des méthodes de commercialisation des comic books, passant des kiosques de presse au Comic Shops, avec toutes les conséquences que ce changement de canal de distribution peut entraîner sur la nature des récits et des œuvres. Signalons toutefois l'orthodoxie de l'auteur, qui donne à la personnalité de Stan Lee un rôle fondamental, bien supérieur celui des dessinateurs (Kirby, Ditko et autres). Lecture passionnante et recommandable pour qui veut mieux comprendre le phénomène comic books. Un phénomène dont Tucker envisage d'ailleurs l'extinction, tant la production cinématographique semble avoir ravi la place avantageuse qu'occupait antérieurement les publications papiers.